
Questions/Réponses
et présentation de la compagnie Mara
avec Jeanne Henry :
Pourquoi ce nom ? C'est qui Mara ?
Dans la mythologie nordique, c’est un personnage féminin qui vient s’asseoir sur la poitrine des endormi·e·s pour les empêcher de respirer. Elle représente l’insomnie, l’angoisse. Ce sont des émotions que je connais bien, que j’ai traversé, longuement expérimenté, notamment pendant ma formation de comédienne à Paris.
Mais portée par le mouvement #metoo et entourée des bonnes personnes à Lyon, j’ai appris à me retourner et à prendre le contrôle de cette Mara. La compagnie Mara, c’est moi qui la dirige ! Mara est mon alter ego, maintenant c’est moi qui m’appuie sur elle pour m’élever. Elle est l’ombre et je suis la lumière. C’est ça le théâtre : passer de l’obscurité des coulisses aux pleins feux des projecteurs !
Pourquoi créer une compagnie de théâtre aujourd’hui en 2021 ?
C’est quoi le théâtre pour toi ?
L’odeur de la toile de jute des décors !
Plus concrètement, j’ai découvert le théâtre très tôt, vers 5 ans. J’accompagnais mes parents à leurs répétitions. La scène était surélevée et on pouvait jouer dessous. Je restais cachée parce qu’il ne fallait pas faire de bruit pendant les scènes, je voyais passer la lumière des projecteurs à travers les lattes du plateau, j’entendais les chuchotements dans les coulisses et la voix du metteur en scène : «Plus fort !». J’ai gardé cette passion pour les sensations au théâtre : l’odeur des costumes que ma grand-mère vieillissait en les faisant tremper dans le thé, les catering gargantuesques faits maison après la représentation, et la sensation très forte de ce moment magique où on entre dans la lumière. En créant ma compagnie aujourd’hui, je défends cette convivialité et la bienveillance qui marquait cette troupe de mon enfance.
Aujourd’hui plus que jamais, on a besoin d’être plusieurs, d’être ensemble, on a besoin d’être une compagnie, d’être relié·e·s, de sortir de l’isolement. J’ai appris ça en découvrant le collectif des Messieurs Utopiques en 2014, qui défend ces idées pour les artistes professionnel·le·s et s’occupe aujourd’hui de la gestion administrative de la compagnie Mara.
Je veux rassembler autour de cette idée que l’on peut sortir de l’ombre pour aller ensemble vers la lumière, porter une parole plurielle. Chacun·e peut se rencontrer, se découvrir, par le biais du théâtre. Les élèves de mes ateliers font partie de la compagnie, le public qui voit mes spectacles fait partie de la compagnie, ma conseillère Pôle Emploi qui adore mon projet, fait partie de la compagnie. Une compagnie, c’est un rassemblement autour d’une idée.
La compagnie Mara et la société d’aujourd’hui, ça donne quoi ?
La compagnie Mara n’est pas politisée parce qu’elle est ouverte à tout le monde. Par contre elle est ouverte à tout le monde et ça c’est déjà un positionnement politique.
J’ai été formée au Théâtre de l’Opprimé et j’utilise les techniques du théâtre-forum pour donner la parole à celles et ceux qui ne l’ont pas, mais dans de vraies conditions de théâtre. C’est pour cela que nous travaillons avec le théâtre de l’Uchronie à la Guillotière par exemple. Tout le monde a le droit de s’avancer dans la lumière et de prendre la parole.
Dans les spectacles que j’écris, je parle de sujets résolument contemporains ancrés dans la société d’aujourd’hui : l’épuisement des sols, la très grande urgence climatique, le fait qu’on va droit dans le mur, l’épuisement des mères, la révolte des femmes, la parole des opprimé·e·s qui se libère. Ce sont des choses qui ne peuvent plus rester dans l’ombre.
Une stagiaire a récemment joué un monologue improvisé sur son enfance au Chili, en pleine dictature. Ça a été libérateur pour elle et très fort pour moi, parce qu’elle l’a transformé en matière artistique. Elle n’a pas été polie et sage, elle a ouvert sa gueule.
«Maintenant, c’est terminé.
On se lève.
On se casse.
On gueule.
On vous emmerde.
Et voyez maintenant si cela vaut la peine de vous lever de votre fauteuil !»
(pour citer Virginie Despentes et Victor Hugo dans la même phrase...)
Concrètement, vous proposez quoi ?
La compagnie Mara propose de défendre ses idées haut et fort.
Dans mon atelier autour de la voix, je dis « Venez apprendre à hurler ». J’offre un cadre qui est sécurisant et j’accompagne les participant·e·s dans la rencontre entre le corps et la parole, la rencontre entre l’exigence et l’accessibilité, la rencontre entre les émotions et la technique.
Dans le spectacle Des réveils blancs, le personnage Martha, dit « Je dégueule ce monde, je me purge de la folie des hommes, de la résignation des femmes » et juste après elle prend sa fille dans ses bras et fait une petite blague. Je travaille à créer une matière qui parle de choses que le public n’a pas toujours l’habitude d’entendre, mais toujours avec un brin d’humour et de dérision. On peut défendre ses opinions sans se faire mal, avec poésie et créativité. Le lieu du théâtre est fait pour ça. Après on mange des madeleines, on boit des coups et on rigole !